ENTREVUE Q/R — Découvertes de deux protéines révolutionnaires

Marie-Paule Primeau — Rédactrice en chef

ENTREVUE Q/R — Découvertes de deux protéines révolutionnaires

Nabil G. Seidah dirige l’unité de recherche en biochimie neuroendocrinienne à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) depuis 1983. Récipiendaire de nombreux prix et distinctions, il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en protéolyse des précurseurs, et professeur de recherche à l’IRCM et au Département de médecine de l’Université de Montréal. De son Égypte natale à Montréal, en passant par la prestigieuse Université de Georgetown aux États-Unis, Nabil G. Seidah jouit d’une renommée internationale de chef de file dans le domaine des protéines convertases.


Parlez-nous de vos recherches actuelles.

Nos recherches actuelles se concentrent principalement sur les nouvelles fonctions et applications thérapeutiques des inhibiteurs de deux proprotéines convertases (PC), la PCSK9 et la PCSK7, des enzymes impliquées respectivement dans l’hypercholestérolémie familiale ainsi que dans la régulation des triglycérides et la stéatose hépatique. Après de longues années de recherches sur le mode d’activation des précurseurs d’hormones protéiques et sur les facteurs de croissance, mon équipe et moi avions découvert et cloné sept des neuf protéases à sérine appartenant à la famille des proprotéines convertases connues sous les noms de PC1, PC2, furine, PC4, PC5, PACE4, PC7, SKI-1 et PCSK9. En parallèle, nous avions également contribué à démontrer que la protéolyse des précurseurs de protéines en protéines actives, mécanisme de clivage auquel participent les proprotéines convertases, concernait aussi des molécules « non neuropeptidiques » telles que des facteurs de croissance, divers récepteurs (incluant des a-intégrines), des enzymes, des facteurs de transcription membranaires et certaines protéines bactériennes et virales de surface. Ces découvertes ont donc permis d’élargir les applications cliniques des inhibiteurs de convertases pour y inclure les maladies cardiométaboliques, la stéatose hépatique, les infections virales et les cancers métastatiques, sur lesquels portent également nos recherches.

Qu’est-ce qui vous a profondément motivé à étudier la biophysique et la biologie moléculaire ?

Vu mes antécédents familiaux concernant le cancer et certaines maladies neurologiques et cardiaques, j’ai développé à un très jeune âge une grande curiosité pour la science. Je désirais comprendre les causes de ces pathologies, les facteurs de risque associés et leurs implications dans les mécanismes sous-jacents à la maladie. Mon intérêt premier était d’aider ma grand-mère à surmonter ses problèmes neurologiques. C’est ainsi que j’ai entamé de longues études en biologie et en sciences afin de me familiariser avec les processus de transport des signaux neuronaux. Je me suis ensuite concentré sur l’identification et la caractérisation moléculaire des hormones et protéines qui régulent la douleur (p. ex. la β-endorphine) et plusieurs autres fonctions biologiques comme la mémoire, la tension artérielle et la croissance tumorale.

Quel est le défi le plus important pour l’atteinte de résultats dans vos recherches ?

Une grande majorité des protéines sécrétoires (synthétisées dans le reticulum endoplasmique et ensuite dirigées vers les granules de sécrétion, p. ex. l’insuline, à la surface de la cellule, ou sécrétées dans l’environnement extracellulaire) ainsi que certaines protéines à la surface des virus à ARN (p. ex. le VIH) doivent d’abord subir un clivage de leurs précurseurs inactifs afin de générer des molécules bioactives. Le plus grand défi consistait donc à identifier les proprotéines convertases responsables de ces clivages. Puisqu’elles sont exprimées à des niveaux très faibles, les méthodes de biochimie classiques ne nous permettaient pas de les identifier. Nous nous sommes donc tournés vers de nouvelles technologies comme la PCR (polymerase chain reaction – amplification en chaîne par polymérase) pour amplifier certaines régions de leur ADN. Après plusieurs années de recherches assidues, cette traversée du désert nous a menés, de 1990 à 2003, à l’identification moléculaire de sept des neuf membres de la famille des proprotéines convertases de même qu’à la caractérisation et à la régulation des neuf gènes et de leurs expressions dans les cellules et les tissus.

De quelle manière vos travaux touchent-ils le grand public ?

Les maladies cardiovasculaires, les cancers métastatiques ainsi que les infections virales figurent parmi les pathologies majeures qui affectent nos sociétés. Puisque les proprotéines convertases jouent des rôles prépondérants dans ces pathologies, mais aussi dans plusieurs autres, l’identification d’un mécanisme capable de les inhiber représente une approche thérapeutique très prometteuse. À titre d’exemple, la découverte en 2003 de la PCSK9, majoritairement exprimée dans les hépatocytes du foie, et de son implication dans la régulation du mauvais cholestérol (LDL) a révolutionné le traitement de l’hypercholestérolémie. Depuis 12 à 15 ans, de nouvelles thérapies extrêmement puissantes utilisant des inhibiteurs de la PCSK9 (PCSK9i) ont été mises au point. Aujourd’hui, par le biais d’une injection sous-cutanée d’anticorps monoclonaux, de petits ARN interférents ou même, très récemment, de CRISPR-Cas, un outil de biologie moléculaire capable de reconnaître et de modifier des séquences précises d’ADN, l’expression de la PCSK9 ou son activité dans l’organisme peut être inhibée. Ces nouveaux traitements permettent d’abaisser les niveaux de cholestérol LDL de 50 à 70 % et de réduire le risque d’athérosclérose et d’événements cardiovasculaires de plus de 30 %. Les PCSK9i sont actuellement testés dans diverses autres pathologies, notamment les cancers métastatiques, les maladies inflammatoires et les infections virales.

En plus de notre découverte révolutionnaire sur la PCSK9, nous avons récemment démontré les avantages thérapeutiques potentiels de l’inhibition de l’expression du gène de la PC7 (PCSK7) dans les hépatocytes chez les personnes souffrant de stéatose hépatique, une maladie du foie gras qui touche plus de 25 % des Canadiens et Canadiennes, et pour laquelle aucun traitement spécifique n’existe à l’heure actuelle.

Travaillez-vous avec des collègues d’autres pays et, si oui, de quelle façon leurs recherches influencent-elles les vôtres ?

Notre équipe de recherche travaille souvent avec d’autres équipes nationales et internationales établies en Europe et aux États-Unis. Ces collaborations s’avèrent très fructueuses. Par exemple, une coopération avec la chercheuse française Catherine Boileau nous a permis de démontrer le lien génétique entre la PCSK9 et les niveaux de cholestérol LDL circulant chez des patientes et patients souffrant d’hypercholestérolémie familiale. Cette première codécouverte fut au cœur des efforts qui ont mené au développement des inhibiteurs de la PCSK9, qui sont aujourd’hui prescrits en clinique dans plus de 30 pays.

Dans votre domaine d’expertise, quelle percée dans les dix prochaines années représenterait une grande avancée ?

L’utilisation, seule ou combinée, des PCSK9i et des PCSK7i devrait révolutionner le traitement de la stéatose hépatique, des cancers métastatiques et sûrement de plusieurs autres pathologies inflammatoires et immunitaires. L’emploi de plus en plus répandu des technologies CRISPR pourrait en faire autant.

Comment envisagez-vous l’avenir dans votre champ de recherche ?

La biologie moléculaire est en pleine effervescence. Les applications cliniques de plusieurs découvertes dans ce domaine révolutionneront certainement le traitement des maladies chroniques et débilitantes. La régulation fine des proprotéines convertases et le développement d’inhibiteurs dirigés spécifiquement vers des tissus, des tumeurs ou des pathogènes mèneront sans doute à la mise au point de traitements efficaces et possiblement sur mesure pour certaines personnes. 

Certaines décisions politiques ont-elles eu des répercussions dans votre champ d’expertise au cours des dernières années, et, si oui, de quel ordre ?

Le Canada a instauré certains programmes cruciaux visant à soutenir la recherche au pays. Le Programme de chaires de recherche du Canada, le programme de subvention de groupes et le programme de subvention-fondation par les Instituts de recherches en santé du Canada (IRSC) en font partie. Grâce à eux, nous avons réalisé de grands progrès dans nos domaines de recherche et su attirer les meilleurs candidats et candidates dans nos laboratoires !

Comment l’intelligence artificielle influence-t-elle votre domaine ?

L’intelligence artificielle révolutionnera et, surtout, accélérera assurément la découverte d’outils diagnostiques et la mise au point de médicaments ciblés et plus efficaces. Les nouveaux antibiotiques, inhibiteurs des proprotéines convertases et agonistes de récepteurs en sont des exemples. Grâce à ces nouveaux outils bio-informatiques, les analyses extensives du protéome, du métabolome et du lipidome des patients et patientes avant et après les traitements seront mieux classées et optimisées à grande échelle, ce qui permettra de rendre les traitements plus efficaces et de les personnaliser.

Si vous aviez un livre à recommander au ou à la ministre responsable de votre domaine, quel serait-il ?

Je lui recommanderais The Code Breaker – Jennifer Doudna, Gene Editing, and the Future of the Human Race, par Walter Isaacson, qui décrit la découverte de CRISPR-Cas comme nouvel outil moléculaire pour éditer les gènes, par Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier.

Si vous aviez un livre à offrir à une personne intéressée par la biochimie, quel serait-il ?

Je proposerais d’abord l’ouvrage Lehninger Principles of Biochemistry (Macmillan Learning, 2021, 8e éd.), par David L. Nelson et Michael M. Cox. Ensuite, puisque la méthode scientifique ne dépend pas de travaux dirigés et ciblés, mais surtout de la curiosité sans borne du scientifique, je conseillerais l’Éloge de l’imprévu : histoire d’un drôle de chercheur(Babelio, 2023), de Jean-Claude Weill, membre de l’Académie des sciences. J’ajouterais aussi Molecular Biology of the Cell (W. W. Norton & Company, 2022, 7e éd.), de Bruce Alberts et Rebecca Heald.

Quelle est l’une de vos grandes passions hormis votre travail ?

Le cyclisme, le sport en général, la nature, la lecture et les voyages hors des sentiers battus me passionnent au quotidien.

 

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