CHRONIQUE — Cartes de bande, « fauxtochtones » et tout le tralala

Mélissa Mollen Dupuis — Réalisatrice, animatrice et militante

CHRONIQUE — Cartes de bande, « fauxtochtones » et tout le tralala

Melissa Mollen Dupuis est une militante, Innue de la communauté d’Ekuanitshit. Elle anime entre autres présentement l’émission hebdomadaire Kuei ! Kwe ! sur chaîne Ici Première de Radio-Canada. Elle est également responsable de la campagne Forêts à la Fondation David Suzuki.

Qui est autochtone ? En 1876, la constitution canadienne mettait les membres des Premières Nations sous tutelle fédérale. La même année était adopté l’Acte des Sauvages, plus tard renommé Loi sur les Indiens, qui définit qui est Indien et quels sont ses droits. Le terme autochtone, quant à lui, ne fait pas référence à une nation, mais une population. Ce terme panier regroupe les Premières Nations, les Inuit et les Métis.

Pendant des siècles, la Loi sur les Indiens a discriminé les femmes autochtones. En effet, celles qui épousaient un homme non inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens perdaient automatiquement leur statut d’Indienne et le droit de vivre dans la communauté, tout comme les enfants issus de cette union. Au contraire, un homme inscrit en vertu de la Loi qui mariait une femme blanche conservait son statut d’Indien. Mes propres parents ont fait le choix politique de ne pas se marier en raison de cette loi discriminatoire.

Ce n’est que le 17 avril 1985, avec l’adoption du projet de loi C-31, que les femmes autochtones et leurs enfants ont enfin pu retrouver leur statut d’Indienne ou d’Indien, et que des milliers de membres des Premières Nations ont pu réintroduire les communautés de leurs mères ou de leurs grands-mères. Pourtant, si plusieurs Autochtones ont ainsi pu retrouver un statut injustement retiré ou s’en découvrir un au regard de la loi, des enjeux de taille se pointaient à l’horizon : la course aux cartes de bande et les « fauxtocthones », qui revendiquent une ascendance autochtone détournée [1], voire carrément illégale.

À aucun moment dans mon esprit je n’aurais pu envisager qu’un jour, cette problématique émergerait, que des personnes secoueraient aussi fortement leur arbre généalogique, allant même jusqu’à déterrer les ossements de leur arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère pour obtenir une carte de statut d’Indien ou revendiquer une identité autochtone, devenue payante pour certains.

Aujourd’hui, être reconnu autochtone favorise l’accès à des postes ou à des bourses, en plus d’offrir des possibilités d’avancement aux Autochtones, qui, grâce à la réconciliation, voient leurs communautés guérir tranquillement et progressivement des contrecoups de la colonisation, des pensionnats et de la discrimination. Ces avantages rendent envieuses certaines personnes allochtones. En acquérant faussement le statut d’Indien ou d’Indienne, ces fauxtochtones accèdent aux privilèges accordés aux Autochtones sans avoir à guérir de la blessure intergénérationnelle des pensionnats. En effet, malgré le changement apporté par le projet de loi C-31, les obstacles à la reconnexion, à la guérison et à la réintégration des membres des Premières Nations, des Inuit et des Métis dans leur communauté d’origine perdurent.

Si, pendant longtemps, le fait d’avoir un lointain ancêtre autochtone était évoqué au passage d’une anecdote ou d’une légende romantisée, son utilisation dans les discours est de plus en plus commune aujourd’hui, servant ainsi d’appui pour renforcer les racines d’une souche qui cherche à se déconnecter de son passé colonial. Même le premier ministre François Legault a évoqué son arrière-arrière-grand-mère, l’Algonquine Marie Miteouamigoukoue, pendant le tumulte lié au décès de Joyce Echaquan, tel un bouclier pour nier le racisme systémique envers les Autochtones.

En ce moment, des communautés entières sont rapiécées avec des individus possédant parfois des cartes de bandes retrouvées, parfois des statuts autochtones frauduleux. Ils se réunissent ainsi pour créer des communautés autochtones qui veulent obtenir une place à la table de négociation ou discuter avec les gouvernements. La situation s’observe actuellement au Labrador avec le collectif autochtone NunatuKavut, qui force les Inuit et les Innuat à se mobiliser contre l’auto-identification inuit.

L’ignorance généralisée de la population face aux enjeux autochtones facilite l’intégration et l’acceptation de nouveaux regroupements tels que le collectif NunatuKavut, mais également la reconnaissance d’individus en tant qu’Autochtones. Dans les exemples récents, je pense aux sœurs Amira et Nadya Gill, de Toronto, qui ont accédé à des milliers de dollars en bourses d’études grâce à de faux statuts inuit. Leur mère, Karima Manji, a d’ailleurs plaidé coupable à des accusations de fraude et recevra sa sentence en juin. Plus récemment, en Colombie-Britannique, Nathan Allen Joseph Legault a plaidé coupable à des accusations de fabrication et de possession de pornographie juvénile. L’ancien pasteur s’est dernièrement identifié comme Métis afin d’être jugé en tant qu’Autochtone. De cette manière, il espérait recevoir un jugement et une sentence plus cléments, une approche juridique visant à compenser les traumas et la surreprésentation autochtone dans le système carcéral. « Un tsunami arrive, poussé par le désir de ceux qui ne sont pas Autochtones d’obtenir ce qu’ils perçoivent comme les avantages du fait d’être définis comme Autochtones [2] », a mis en garde le juge David Patterson, qui a en outre refusé de statuer sur l’identité récente de Joseph Legault.

Alors que nous ignorer a longtemps été facile, nos identités et nos droits sont désormais enchâssés dans le droit canadien. En tant qu’Autochtones, nous avons cependant sous-estimé le fait qu’un jour, nous serions remplacés à notre propre table ou submergés par la cacophonie des voix des fauxtochtones, plus commodes que les nôtres, puisqu’elles rendent la réconciliation plus digeste et plus rapide. Beaucoup de membres des communautés autochtones, dont les voix s’élèvent aujourd’hui pour décrier l’appropriation et l’usurpation de l’identité autochtone, sont accusés de gatekeeping et de jouer les bouncers à l’entrée du club.

Nous faisons face en ce moment à la patate chaude du néocolonialisme. À seulement 10 ans du 500e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier sur l’île de la Grande Tortue et après des siècles à voler les territoires, les droits, les cultures, les langues des Autochtones et même leurs enfants, on continue, encore aujourd’hui, de prendre aux communautés des Premières Nations, des Inuit et des Métis ce qu’elles possèdent, poussant l’odieux jusqu’à dérober leur identité et leur ADN.

Références : 

[1] Leroux, D. (2022). Ascendance détournée : quand les Blancs revendiquent une identité autochtone (traduit par A. Lacassagne et D. Leroux). Prise de parole.

[2] Radio-Canada. (2024). Un juge met en garde contre un « tsunami » de cas d’usurpation d’identité autochtone. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2056911/justice-usurpation-identite-autochtone-pasteur#


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