SPORT—Le brassard de la performance

François Lalonde — Programme de doctorat en kinésiologie

SPORT—Le brassard de la performance

En 2007, la cycliste Geneviève Jeanson avouait finalement avoir triché. Depuis, le dopage sportif a souvent fait les manchettes des médias. De la quête de performance jumelée à l’évolution de la science jaillissent de nouvelles techniques biomédicales qui pourraient aider les athlètes à gravir les échelons du podium. Selon certaines études, effectuer avant la période d’échauffement des cycles d’occlusion partielle à l’aide d’un simple brassard pour mesurer la pression artérielle pourrait enclencher des mécanismes physiologiques permettant d’améliorer les performances en natation, en cyclisme et en course à pied.

Beaucoup d’athlètes recherchent continuellement différentes stratégies pour accroître leur performance, dans le but d’augmenter leurs chances de monter sur le podium et de remporter des bourses. Plusieurs moyens d’y parvenir sont légaux et bien acceptés par la société, comme les multiples méthodes d’entraînement combinées à une saine alimentation. Par contre, quelques athlètes de haut niveau, comme Geneviève Jeanson, ainsi que des sportifs amateurs consomment des produits dopants considérés comme illégaux par le Comité international olympique (CIO) et les différentes fédérations sportives1. Par exemple, un cycliste qui souhaite augmenter son rendement cardiovasculaire pourrait utiliser de l’érythropoïétine (EPO) au risque d’échouer à un contrôle antidopage et d’être disqualifié2. En 2014, cinq athlètes canadiens ont été déclarés positifs à des substances dopantes, selon le Centre canadien pour l’éthique dans le sport3. Malgré les efforts déployés par les agences antidopage pour contrecarrer ce phénomène, de nouvelles méthodes issues des sciences biomédicales permettent de masquer les produits dopants lors des tests de dépistage. Même si certains produits dopants destinés à augmenter la performance ont des effets nocifs pour la santé, certains athlètes osent en faire l’essai sans se soucier de leurs conséquences à long terme. Alors, comment optimiser les performances sans nuire à la santé ?

 

Le brassard et la performance

Une nouvelle méthode propose de répondre à cette exigence. En fait, selon une étude effectuée en 2010 à l’Université de Radboud, aux Pays-Bas, par De Groot et ses collaborateurs, un athlète qui utilise un brassard servant à mesurer la pression artérielle peut gonfler celui-ci afin de créer des occlusions partielles au niveau de la cuisse pendant 30 minutes sur un muscle squelettique avant la période d’échauffement. Grâce à cette intervention, l’athlète pourrait augmenter ses performances sportives4. Toutefois, deux questions se posent : est-ce une méthode sûre ? Pour quels types d’épreuves sportives l’intervention s’avère-t-elle efficace ? En 2012, la méta-analyse d’une autre équipe de scientifiques a démontré que cette méthode de préconditionnement, telle qu’effectuée par De Groot, pouvait diminuer les dommages cellulaires cardiaques lors d’une intervention chirurgicale en provoquant quatre cycles d’ischémie (restriction d’oxygène) de cinq minutes, suivis de cinq minutes de reperfusion (réoxygénation) sur un muscle squelettique comme celui du bras ou de la cuisse5. Ce procédé, qui se nomme « préconditionnement ischémique à distance (PCID) induit par un brassard », entraîne une série de changements physiologiques qui se traduisent par un meilleur transport de l’énergie et de l’oxygène dans la machinerie cellulaire du muscle cardiaque6. Sans effets secondaires connus, hormis un inconfort lors des périodes d’ischémie, le PCID offre des avantages qui ont incité plusieurs athlètes, notamment des cyclistes, à en faire l’essai en laboratoire depuis 20107. Face à l’utilisation récente de cette technique dans le monde du sport, des scientifiques se sont demandé si le PCID pouvait avoir des effets réels sur les performances sportives.

 

La monnaie d’échange des muscles

Le corps s’adapte en fonction de la durée et de l’intensité de l’effort physique qui lui est demandé. Les muscles recourent donc à différents systèmes métaboliques qui leur fourniront les ressources nécessaires pour accomplir la tâche exigée. De ce fait, les muscles ont besoin d’une monnaie d’échange, en l’occurrence des molécules d’adénosine triphosphate (ATP), qui doit être continuellement renouvelée pour leur permettre d’effectuer le travail. Ainsi, pour une activité physique de courte durée, à savoir moins de 60 secondes, les muscles réussissent à reconstituer leur réserve d’ATP sans oxygène (mode anaérobie). Si l’effort est prolongé, à plus de 60 secondes, le système qui utilise l’oxygène (mode aérobie) sera à son tour responsable de renouveler les réserves d’ATP par l’oxydation de substrats énergétiques provenant de l’alimentation, tels les glucides (sucres) et les lipides (gras)8. Des exemples concrets permettent de mieux illustrer ces concepts théoriques. L’haltérophilie commande un effort explosif supramaximal. Cette discipline exige des efforts intenses de quelques secondes et implique donc la filière énergétique dite « anaérobie ». À l’opposé, courir un marathon est un sport d’endurance au cours duquel l’énergie provient principalement du métabolisme aérobie. Entre ces deux extrêmes, il existe un continuum et un chevauchement des deux systèmes énergétiques. Étant donné que la technique du PCID permettrait une meilleure utilisation de l’ATP au niveau cellulaire, les chercheurs ont exploré les effets potentiels de cette intervention sur les deux principaux mécanismes énergétiques.

 

Le PCID et le système aérobie

De prime abord, l’utilisation du PCID avant un effort de longue durée (mode aérobie) pourrait charmer des athlètes de sports d’endurance. En effet, des scientifiques ont démontré une hausse significative de la performance lorsque le PCID était effectué avant un effort soutenu, comme en natation, en course à pied, en cyclisme et au rameur. Leurs études ont par exemple révélé que la performance des nageurs d’élite sur 100 mètres a progressé de 1 %9, celle des coureurs de 2,5 % sur 5 kilomètres10, et que la puissance maximale lors d’un test de vélo à augmentation de charge progressive a bondi de 3 ou 4 %11. Finalement, un progrès de 1 % a été noté pour les rameurs de 1 000 mètres12. Ces améliorations correspondent aux effets d’un entraînement de quatre semaines en haute altitude pour des athlètes d’élite et peuvent donc faire la différence entre la première et la deuxième place lors d’une compétition. Pour le moment, la littérature indique que les bénéfices découlant du PCID ne sont constatés que lors d’efforts aérobies d’assez courte durée (de 1 à 25 minutes), et qu’il faut donc éviter de généraliser ces mêmes données à un marathon ou à un triathlon. De plus, une étude a démontré que le PCID ne produit aucun effet en cas d’effort de faible à moyenne intensité13. Au contraire, les données probantes suggèrent que seuls les sportifs fournissant des efforts hautement intenses pourraient tirer profit de la méthode14. Une étude expérimentale similaire, effectuée dans un laboratoire de l’Université de Montréal, a conclu que le PCID induit par un brassard favorise une utilisation plus efficace de l’oxygène par les muscles en début d’effort, ce qui réduit l’énergie sollicitée auprès du métabolisme anaérobie.

 

Les efforts de type anaérobie et le PCID

Qu’en est-il des activités physiques de courte durée impliquant le système énergétique anaérobie lors d’efforts supramaximaux ? Le PCID induit par un brassard ne semble pas prometteur pour les athlètes lors d’une activité sportive de très courte durée (moins de 60 secondes). Que ce soit pour des sprints de 10 à 30 mètres ou pour des séances de 6 à 30 secondes sur vélo, le PCID n’offre pas d’avantages significatifs aux sportifs15. En contrepartie, une étude sur un test de force de courte durée démontre que les signaux de fatigue sont repoussés, malgré l’absence d’amélioration de la performance. Dans ce sens, un autre groupe de chercheurs de l’Université de Montréal a révélé que des participants déployant une intensité supramaximale de 30 secondes sur un vélo stationnaire ressentaient moins de douleur découlant de l’activité physique lorsqu’ils avaient préalablement eu recours au PCID16.

 

La performance à tout prix ?

Même si le PCID induit par un brassard peut intéresser les compétiteurs espérant remporter des médailles — après tout, la méthode se veut simple, présente un faible coût, est sûre pour la santé et légale —, il ne fournira pas aux athlètes amateurs une différence significative de performance. Seuls les athlètes d’élite qui pratiquent un sport à prédominance aérobie, telles la nage en style libre sur 200 mètres ou la course à pied sur 5 kilomètres, pourraient bénéficier d’un léger gain. L’entraînement traditionnel, qui comprend l’exercice fréquent et rigoureux, de bonnes périodes de repos, une saine alimentation et une préparation psychologique, demeure donc la solution préconisée par les kinésiologues pour toute personne désirant progresser dans un sport (http://www.kinesiologue.com). Il ne faut pas oublier que la pratique régulière d’activité physique, autant cardiovasculaire que musculaire, vise avant tout à maintenir le corps en bonne santé le plus longtemps possible et à prévenir différentes maladies chroniques associées à la sédentarité17. ◉

 

 

RÉFÉRENCES

1 Thevis, M., Kuuranne, T., Geyer, H. et Schanzer, W. (2012). Annual banned-substance review: Analytical approaches in human sports drug testing. Drug Testing and Analysis, 4(1), 2-16. doi : 10.1002/dta.415

2 Wang, D. (2012). Understanding performance-enhancing drug use. Connecticut Medicine, 76(8), 487-491.

3 Centre canadien pour l’éthique dans le sport. (2014.) Statistiques. Repéré à http://www.cces.ca/fr/statistics

4 De Groot, P. C., Thijssen, D. H., Sanchez, M., Ellenkamp, R. et Hopman, M. T. (2010). Ischemic preconditioning improves maximal performance in humans. European Journal of Applied Physiology, 108(1), 141-146. doi : 10.1007/s00421-009-1195-2

5 Pilcher, J. M., Young, P., Weatherall, M., Rahman, I., Bonser, R. S. et Beasley, R. W. (2012). A systematic review and meta-analysis of the cardioprotective effects of remote ischaemic preconditioning in open cardiac surgery. Journal of the Royal Society of Medicine, 105(10), 436-445. doi : 10.1258/jrsm.2012.120049

6 Kharbanda, R. K., Nielsen, T. T. et Redington, A. N. (2009). Translation of remote ischaemic preconditioning into clinical practice. Lancet, 374(9700), 1557-1565. doi : 10.1016/S0140-6736(09)61421-5

7 De Groot et coll., op. cit.

8 Powers, S. K. et Howley, E. T. (2012). Exercise physiology: Theory and application to fitness and performance (8e éd.). New York, NY : McGraw-Hill.w

9 Jean-St-Michel, E., Manlhiot, C., Li, J., Tropak, M., Michelsen, M. M., Schmidt, M. R. et Redington, A. N. (2010). Remote preconditioning improves maximal performance in highly-trained athletes. Medicine & Science in Sports & Exercice, 43(7), 1280-1286.
doi : 10.1249/ MSS.0b013e318206845d

10 Bailey, T. G., Jones, H., Gregson, W., Atkinson, G., Cable, N. T. et Thijssen, D. H. (2012). Effect of ischemic preconditioning on lactate accumulation and running performance. Medicine & Science in Sports & Exercise, 44(11), 2084-2089.
doi : 10.1249/MSS.0b013e318262cb17

11 Crisafulli, A., Tangianu, F., Tocco, F., Concu, A., Mameli, O., Mulliri, G. et Caria, M. A. (2011). Ischemic preconditioning of the muscle improves maximal exercise performance but not maximal oxygen uptake in humans. Journal of Applied Physiology, 111(2), 530-536. doi : 10.1152/japplphysiol.00266.2011

12 Kjeld, T., Rasmussen, M. R., Jattu, T., Nielsen, H. B. et Secher, N. H. (2014). Ischemic preconditioning of one forearm enhances static and dynamic apnea. Medicine & Science in Sports & Exercise, 46(1), 151-155. doi : 10.1249/ MSS.0b013e3182a4090a

13 Clevidence, M. W., Mowery, R. E. et Kushnick, M. R. (2012). The effects of ischemic preconditioning on aerobic and anaerobic variables associated with submaximal cycling performance. European Journal of Applied Physiology, 112(10), 3649-3654.
doi : 10.1007/ s00421-012-2345-5

14 Jean-St-Michel et coll, op. cit.

15 Gibson, N., White, J., Neish, M. et Murray, A. (2013). Effect of ischemic preconditioning on land-based sprinting in team-sport athletes. International Journal of Sports Physiology and Performance, 8(6), 671-676.

16 Lalonde, F. et Curnier, D. (2014). Can anaerobic performance be improved by remote ischemic preconditioning ? Journal of Strength and Conditioning Research, 29(1), 80-85. doi : 10.1519/ JSC.0000000000000609

17 Lalonde, F. (2012). Guidelines for cardiac rehabilitation and secondary prevention programs [compte rendu de livre]. Journal of the American Osteopathic Association, 112(11), 753-754.

 

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